Deuxième retour sur le congrès ABF

Notre collègue Emma Obligis, de la bibliothèque d’Aïga (Girond), a bénéficié d’une bourse pour assister au congrès de l’ABF 2025 à Montreuil sur la thématique de l’esprit critique. Voici sa synthèse. L’ABF Aquitaine la remercie grandement

En ouverture de ce congrès, Myriam Revault d’Allones, a défini la notion d’esprit critique. Elle la qualifie aujourd’hui de très intellectualisée et rappelle que ce dernier est à l’origine une attitude, une manière de vivre qui demande une exigence politique, la condition essentielle afin de pouvoir vivre ensemble. Cette posture fait écho au rôle des bibliothèques en tant que lieu des connaissances et des savoirs ; mais aussi comme « troisième lieu » en sans cesse adaptation au quotidien de la population. Ainsi, tout en étant un espace de sociabilisation et de rencontre, les bibliothèques doivent donner à leurs usagers les moyens d’adopter cette « attitude ». La posture du bibliothécaire en tant que professionnel de l’information, la voix « experte », neutre et pluraliste qu’il porte est au cœur de cette transmission. Or, cette posture est elle-même confrontée à ses propres biais : l’équilibre entre la posture du fonctionnaire et les valeurs professionnelles de chaque agent, un temps et un budget souvent limités, les orientations souhaitées de la tutelle, et parfois, la pression qu’elle exerce. La posture du bibliothécaire en tant que professionnel de l’information, la voix « experte », neutre et pluraliste qu’il porte est au cœur de cette transmission. Or, cette posture est elle-même confrontée à ses propres biais : l’équilibre entre la posture du fonctionnaire et les valeurs professionnelles de chaque agent, un temps et un budget souvent limités, les orientations souhaitées de la tutelle, et parfois, la pression qu’elle exerce.

La notion de déontologie du fonctionnaire et par conséquent du pluralisme, de la neutralité et du devoir de réserve qu’il doit adopter ont été au cœur de ces deux jours et demi passés au congrès. Tandis que la table de discussion « Neutralité du fonctionnaire cadre légal à l’épreuve de la réalité du terrain » a mis en exergue ces notions par le prisme du cadre légal comme élément protecteur du bibliothécaire dans l’exercice de ses fonctions ; celle intitulée « Bibliothécaire, un métier militant ? La déontologie professionnelle sous pression » a interrogé ces notions en abordant la place des valeurs, qu’englobent le métier de bibliothécaire, dans un cadre sociétal et institutionnel très influencé par l’actualité politique. Il a notamment été question des discours politiques qui font place dans le débat public et des différentes publications qui s’en font le relais (essais, presse, etc). Il a ainsi été interrogé le rôle des bibliothèques dans cette transmission au public, alors qu’elles seraient elles-mêmes, dans l’imaginaire collectif, associées à des valeurs politiques.

J’ai pu assister pour la première fois à un débat mouvant en participant à l’atelier « Est-ce que choisir c’est censurer ? » où ces notions ont été abordées à travers des propositions très directes. Dans cet exercice, il a été par exemple question des pseudo-sciences et de leurs place dans nos collections. Bien que non validées par « l’autorité » scientifique, les thématiques de ces champs sont très demandées par les usagers. Ainsi, les choix de l’acquéreur doivent s’équilibrer au sein d’une bibliothèque s’imposant à la fois comme lieu du savoir ; face à celui où elle doit répondre à une certaine demande, même si ces croyances n’ont pas de validité scientifique.

Ces différents temps ont mis en lumière l’influence de l’actualité politique et la possibilité, ou non, d’appliquer nos missions avec tout le recul nécessaire ; de transmettre une information juste alors que l’on pratique un métier confronté à des réalités sociales complexes.

Ces réalités sont portées par la population que nos bibliothèques accueillent. Cela se reflète par la mise en place d’actions pour que des temps de réflexion puissent s’adresser à la population et être portées par elle.


Cela a été évoqué par exemple dans la conférence « Que peut apporter la bibliothèque pour le débat entre citoyen.ne.s ». Ici la bibliothèque a été présentée comme le lieu de l’espace public étant destiné à mettre en place des instances de débats. Malgré les obstacles institutionnels, la bibliothèque dispose de nombreux atouts : information vérifiées ; pluralisme des collections et sa diversité : fictions, documentaire ; mixité sociale ; plasticité spatiale, etc. Dans cette conférence, il a été appuyée la nécessité de professionnaliser le débat : formation des professionnels sur les techniques de modération, d’acquisitions et des enjeux juridiques ; construction formalisée de la programmation culturelle. Pour illustrer ces propos, il a été pris l’exemple de la Bibliothèque de Nîmes où un cycle de conférences sur des grands enjeux politiques (conférences sur l’Islam, l’antisémitisme) a été mis en place. Des tables de discussion ont donné des exemples où le public est acteur du débat citoyen en bibliothèque. Par exemple, celle nommée « Esprit critique es-tu là ? » a évoqué la mise en place d’ateliers d’Education aux Médias et à l’Information sur des temps tout public dans le cadre d’un partenariat entre la bibliothèque municipale de Lyon avec deux résidences de journalisme. La conférence « L‘accès libre et gratuit à l’information, un ingrédient indispensable pour développer l’esprit critique », a également donné l’exemple de la Bibliothèque Municipale de Lyon, première bibliothèque à avoir atteint le niveau 3 de la “Charte du droit fondamental des citoyens à accéder à l’information et aux savoirs par les bibliothèques”. Elle est parvenue à mettre en place des ateliers où les usagers nourrissent des pages Wikipédia grâces aux ressources de numélyo. Ainsi, le public devient acteur de la transmission de l’information en nourrissant les savoirs collectifs.


Ces actions, très riches, demandent en revanche du temps pour être mises en place et pour obtenir les outils nécessaires afin d’accompagner les autorités de tutelle et usagers. Dans l’exemple de l’accès à un internet libre et gratuit, il a été évoqué que cet accès est très souvent limité par nos propres contraintes professionnelles (DRM, modèle économique fermé, etc), ce qui peut avoir un impact sur l’égalité d’accès à l’information en fonction des territoires.


Durant ces trois jours, il a été très souvent souligné la nécessité d’adopter les bons outils dans le cadre de nos pratiques. Les formations des professionnelles sont clés et acter différents textes (charte de politique documentaire, charte de politique d’action culturelle, charte numérique) auprès de sa tutelle sont nécessaires. Cela afin de nous sécuriser dans l’exercice de nos fonctions et pour pouvoir agir concrètement en justifiant les demandes de moyens supplémentaires.


Les témoignages d’Amanda Jones et Sam Helmick, ont constaté de la fragilité de cette sécurité d’exercer nos fonctions de la manière la plus juste possible. Leurs témoignages ont mis en lumière les actions du gouvernement américain qui tendent à une de privatisation du service public du pays, afin de pouvoir contrôler les récits et les savoirs mis à disposition de la population au sein des bibliothèques. Cela donne lieu à de fortes réductions budgétaires vis-à-vis du monde de la culture ; des attaques personnelles envers les bibliothécaires de la part de groupes de pressions (atteinte à leur réputation, remise en cause des contenus diffusés dans la bibliothèque ) ; des cas de censure de la publication éditoriale ; allant jusqu’à de l’auto-censure de la part des professionnels du livres.


Il a été souligné les moyens adoptés pour traverser cette dure épreuve. Ceux-ci se portent surtout à l’échelle locale et par la volonté propre des professionnels concernés. Le soutien de la part des bibliothécaires, ainsi que le fait de porter ce combat sur la place public, notamment par le biais des journalistes, a été d’une grande aide. Amanda et Sam ont insisté sur la nécessité d’une entraide collective, et sur la mise en valeur d’études d’impact pour montrer l’importance des bibliothèques aux tutelles politiques.


Ces témoignages ont été un moment fort de ce congrès. Nos collègues d’outre-atlantique ont été longuement applaudies par une assistance qui s’est levée pour saluer leur engagement.


A l’issu de ces deux jours et demi, les réflexions avec lesquelles j’étais arrivée se sont enrichies et les questions avec lesquelles je suis repartie se sont multipliées.


Les problématiques qui traversent notre profession, vis-à-vis de l’esprit critique, sont soudées par des valeurs communes qui nous motivent dans la pratique de notre profession, mais elles se trouvent également fortement influencées par le territoire dans lequel chaque bibliothèque se situe. La bibliothèque doit être le reflet de la population qui y habite en lui donnant les moyens d’étayer une réflexion critique et d’être l’un des prismes par lequel elle va exprimer cette même réflexion.


Thomas C. Durand, dans la conférence de clôture, a évoqué la confiance comme notion clé pour l’exercice de l’esprit critique ; notion essentielle sans laquelle le public ne passerait peut-être jamais la porte de nos bibliothèques.


Je tiens à remercier l’ABF pour l’obtention de cette bourse. Ce congrès a été pour moi une vraie opportunité de pouvoir participer à ce temps fort professionnel .

Mikaël Brient

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